Figures pissantes, 1280-2014
Un livre impertinent et érudit.
Sous le titre intrigant de Figures pissantes se cache une étude remarquable et non dépourvue d’humour sur les représentations de personnages – petits et grands – en train d’uriner. Jean-Claude Lebensztejn part d’un détail qui, s’il peut sembler négligeable (les putti urinant sont souvent cachés dans un petit coin de grandes œuvres), propulse le lecteur dans les représentations des figures pissantes de l’Antiquité tardive à nos jours : l’urine y passe du statut de l’acqua santa du bébé à celui de vecteur de la profanation et de la dépravation.
Le texte s’ouvre sur l’iconographie joyeuse et festive du puer mingens, que l’on retrouve sur les sarcophages romains, dans le Songe de Poliphile, chez les putti de la Renaissance. Puis apparaît peu à peu l’adulte pissant, d’abord en toute innocence, comme chez Rembrandt, avant que n’émergent doucement des représentations dans lesquelles l’érotisme n’est pas absent, comme celles un peu voyeuses de Boucher et sa Femme qui pisse (appelée aussi très à propos L’Œil indiscret), des pisseuses de Picasso ou celles de Gauguin. Au cours du XXe siècle, le statut de l’urine et celui du pisseur (et de la pisseuse) se modifient encore plus profondément, allant jusqu’à la revendication, au défi, voire à la déviance : des artistes comme Otto Muehl, Andres Serrano, Sophy Rickett ou Andy Warhol seront les fers de lance de ce basculement.
L’iconographie témoigne d’une extraordinaire curiosité : bien connues ou dénichées au fond d’un coffre aux trésors par Jean-Claude Lebensztejn (ou ses amis, qui se sont pris au jeu en lui indiquant des pisseurs ou pisseuses à travers les siècles), les 161 illustrations de ce livre, parfois naïves, parfois polissonnes, parfois agressives, forment un corpus foisonnant nous transportant de l’innocence à l’indécence.
La force de ce texte ciselé réside dans ce mélange subtil, propre à l’auteur, qui détourne les études de cas iconologiques pour arpenter avec nous des siècles de « fantaisies diurétiques », teintées de poésie et de politique.
Jean-Claude Lebensztejn est historien, théoricien, critique d’art et écrivain. Il est Professeur honoraire de l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne. Parmi ses nombreuses publications, citons Déplacements, Presses du réel (2013) ; Manières de table, Bayard (2004) ; Malcolm Morley : itinéraires, Mamco (2002), L’Art de la tache, Éditions du Limon (1990).
136 illustrations couleur
25 illustrations noir et blanc
Format : 16 x 24 cm
ISBN : 978-2-86589-087-3
ISSN : 2276-3732